Le 21 juin 2021, pour la première fois de sa vie, depuis qu'il avait été embauché au ministère de la magie - et ça, sans même oser parler de cette pagaille temporelle qui lui offrait, à bien des égards, des heures supplémentaires à gogo - il avait enfin droit à son lundi. Une belle journée de repos qu'il avait bien l'intention de commencer par une grasse matinée. Un luxe qu'il n'avait pas pu s'offrir depuis bien longtemps et dont il en avait presque oublié les biens faits, mais aussi le plaisir simple que cela pouvait procurer. Quel bonheur de pouvoir s'endormir la veille au soir sans avoir à se soucier du lendemain. Sans avoir à redouter un quelconque réveil-matin et mieux encore, quel bonheur de ne pas avoir à utiliser ce maudit réseau de cheminé avant l'aube ! Un Réseau de cheminé qui, au passage, lui laissait toujours quelques traces de poudre bien incrustées à ses vêtements. Mais maladroit et pressé, les trois quarts du temps, il ne prenait même pas la peine de les retirer de ses dits vêtements. Mais bien loin ce matin, de ces petits embarras quotidiens, Théo  - encore profondément endormi - semblait savourer cet instant. Hélas, c'était sans compter sur Jackson qui venait furtivement d'entrer dans sa chambre... D'un pas étouffé, comme un dragon dans un salon de thé, ce dernier était parvenu à atteindre, sans faire de bruit, ses rideaux de l'autre côté de la pièce.

- Hannn, Jackson ! Grommela-t-il à peine réveillé alors que le diablotin qu'il était avait pris un malin plaisir à les ouvrir en grand. Les yeux encore à moitié fermés, mais davantage à cause des rayons de jour, qui étaient venus l'assaillir que par le sommeil lui-même, Théo se redressa légèrement sur ses coudes. Tu exagères, c'est mon jour de repos. NOTRE jour de repos. Insista-t-il. En regardant les vêtements que le Whittemore venait de jeter au bout de son lit. C'est pour moi ? S'étonna-t-il en venant finalement croiser le regard de Jackson. Un festival, avait-il dit ? Humm oui, le célèbre festival en l'honneur du Solstice d'été. Se souvient-il en ne pouvant s'empêcher d'enfoncer sa tête dans son oreiller. On est vraiment obligé d'y aller si tôt ? Marmonna-t-il entre ses dents, la tête toujours dans l'oreiller. Peu de gens aurait réellement compris ce qu'il marmonnait, mais avec Jackson, c'était différent.

Trouvant finalement le courage de se lever, Théo alla se saisir des vêtements que Jackson s'était chargé de choisir pour lui - chose qui ne le dérangerait guère en soit. Jackson avait toujours eu bon goût en matière de style (et tout le reste finalement) que c'était aussi une chose pour laquelle il lui faisait entièrement confiance - presque sans jamais poser de question.

- Pas de costume bien ajusté aujourd'hui ? S'étonna-t-il faussement. Tu ne voudrais tout de même pas qu'il pleuve en ce jour de fête, dis-moi ? Le taquina-t-il volontiers en le dévisageant de la tête au pied.

Jackson avait toujours été un garçon unique en son genre et il faisait rarement les choses de la même façon que tous les autres. Pourtant, même en sachant cela, il continuait tout de même de surprendre Théo. Voilà qu'il apprenait que c'était à lui, qu'il devait son fameux jour de repos. En même temps, en dehors de lui, il ne voyait pas vraiment à qui d'autre, il aurait pu le devoir. Parce que depuis cette pagaille, mais aussi et surtout depuis sa bourde mémorable avec ce voyageur qu'il avait laissé filer (sans le vouloir), Théo avait dû redoubler de patience et peut-être même (tenter, plus que les autres) de se faire valoir, peut-être plus que de raison auprès de ses supérieurs. Dans l'espoir de se racheter et de prouver sa valeur. Autant dire donc, qu'il n'espérait pas réellement pouvoir jouir d'un tel privilège, que d'être congédié en ce jour de festivité.

- Je me doutais que ce fût trop beau pour être vrai, alors merci. J'en avais besoin.

Et très honnêtement, ce n'était pas peu dire. Théodore avait toujours adoré son boulot, bien que contraignant parfois, mais jamais - ô grand jamais - il ne s'était imaginé faire autre chose que cela. C'était aussi vrai, qu'il avait eu une sorte de "promotion" depuis la divagation, mais cette dernière lui avait finalement causé bien des ennuis - cela dit, c'était une tout autre histoire...

- Un sacré chanceux ce petit homme ! Renchérit-il volontiers, tout en sachant pertinemment qu'il n'y avait aucun "clochard en face" ; c'était simplement sa façon de répliquer à la bête question du pauvre Théo qui peinait encore à ouvrir les yeux. Beaucoup auraient pu prendre ce genre de rétorquer pour une pique, mais pas lui. Il ne connaissait que trop bien Jackson et cette façade, parfois brute de décoffrage, agissait surtout comme une armure afin de protéger son immense cœur tendre - bien que cela, il ne l'avouera sûrement jamais.

- Je reconnais que tu tiens là un argument intéressant. Souffla-t-il en se levant, allant récupérer les vêtements que Jackson avait pris le temps de lui choisir. Tu as raison, tout te sied à ravir. Le complimenta-t-il tout naturellement. À ses yeux, il avait toujours été beau garçon. Alors pourquoi se mentir, pourquoi diable avoir honte de le dire ? Pensa-t-il alors que ce dernier vient affectueusement lui ébouriffer les cheveux avant de le devancer un peu.

- Alors, je me hâte. Lui souffla-t-il en lui souriant.

Très honnêtement, à cela, Théo avait presque eu envie de répondre quelque chose du genre : Tu es vraiment adorable, je ne te mérite pas... Et c'était entièrement vrai de toute façon, mais Théo avait rarement le courage de laisser ses vrais sentiments s'exprimer et de dire réellement ce genre de chose à quelqu'un - même si ce quelqu'un n'était clairement pas n'importe qui en l'occurrence. D'autant plus qu'il n'était pas tout à fait certain que Jackson ait vraiment envie d'être considéré comme une petite chose adorable à qui on voudrait faire des papouilles en guise de reconnaissance ou d'affection. Et même si Théo avait bien souvent l'air d'un "handicapé" social, la drôle d'envie de le prendre dans ses bras, le prenait parfois. Autant donc ajouter que, pour quelqu'un d'aussi peu tactile que lui - en règle générale - ce n'était pas rien, même si finalement il ne faisait que l'envisager et/ou l'imaginer.

(...)

- Alors, où sont les gaufres que tu m'as promises ? Questionna-t-il alors qu'il rejoignait enfin la salle à manger au rez-de-chaussée, vêtu de la fameuse tenue que le Whittemore lui avait choisi - à savoir : un jean de couleur claire (semi-slim) par-dessus lequel il avait passé une chemise à manches courtes aux imprimés fleuris. Il finit alors de la boutonner, laissant volontairement le haut de celle-ci entrouverte, avant de venir prendre place à la table, auprès de Jackson. Et dans la mesure où ils étaient libres de s'attarder un peu aujourd'hui, Théo allait bien en profiter pour prendre le temps de savourer le petit déjeuner que lui avait préparé son ami avant qu'ils n'aillent tous les deux s'enivrer d'alcool.

Avant de faire la rencontre de Jackson et bien avant même qu'il ne laisse réellement entrer dans sa vie, Théo avait toujours eu le drôle de sentiment de vivre dans le noir ou de n'être rien d'autre que le triste spectateur de sa sombre existence. Condamné à vivre dans l'ombre de son père, contraint de suivre ses quatre volontés et de mener à bien chacun des plans qu'il avait établis pour lui et, évidemment, il se devait toujours d'accepter son sort sans sourciller. Au fond de lui, il savait que ce n'était pas juste, que ce n'était pas là, la vie qu'il voulait mener ni même le chemin qu'il voulait emprunter. Mais après que le maudit Selwyn lui ait enlevé sa mère, il n'était plus tout à fait certain de trouver un sens à son existence... Mais tout cela était vrai avant que Jackson ne vienne le trouver et décide de faire de lui son meilleur ami. Aujourd'hui encore, Théo ne comprenait pas forcément les raisons qui l'avaient poussé à agir ainsi envers lui, mais ce dont il était certain en revanche, c'était qu'à bien des égards, Jackson l'avait sauvé. Alors lorsqu'il lui disait de telles choses - chose qui aurait sans aucun doute pu semblait acerbe pour un autre - Théo lui, se sentait reconnaissant.

- Nul ne le ferait aussi bien que toi de toute façon.

Puis il sourit à l'écoute des mots que Jackson venait de prononcer - juste après qu'il ait, lui-même, rebondit sur sa vanne concernant le "clochard d'en face". Pourquoi souriait-il ainsi en arquant un sourcil, vous demanderiez vous sûrement ? Eh bien, tout simplement parce qu'une part de lui savait que l'infinie bonté dont Jackson faisait preuve envers lui, lui était sûrement propre. Qu'il ne ferait probablement jamais pour un autre ce qu'il faisait naturellement pour lui. À cette pensée, son cœur manqua un battement alors que son âme se réchauffait doucement. Il avait de la chance d'avoir quelqu'un comme Jackson dans sa vie, sans lui, elle aurait sans conteste, une tout autre allure, un goût tout à fait différent. Il le laissa ensuite filer, ne pouvant s'empêcher de le regarder s'éclipser discrètement, jusqu'à complètement disparaître de son champ de vision. *Pourquoi tant de discrétion ?* S'étonna son inconscient, qui savait, sans aucun doute déjà, qu'il n'y avait pas que de l'amitié entre ses deux-là. Mais s'il en était convaincu, pourquoi diable mettait-il autant de temps à le souffler à sa sœur, la conscience ?

(...)

Prenant finalement place à table, auprès de Jackson, il se contenta de sourire espiègle à la rétorque de ce dernier lorsqu'il avait eu l'audace de réclamer les gaufres qu'il lui avait promises et qui sentaient divinement bon. Sans tarder, il en attrapa une et mordit dedans avec plaisir, sans même y ajouter quoi que ce soit.

- Merci Jackson de faire mon petit-déjeuner préféré, que ferais-je sans toi ? Souffla-t-il entre ses dents, la bouche encore à moitié pleine et les yeux fermés, savourant pleinement le goût unique de cette gaufre encore chaude et croustillante. Cela aurait pu être perçu pour de l'ironie, mais que nenni, il pensait chacun de ses mots, même s'il les reprenait de la bouche de Jackson. Après quoi, il se décida enfin à prendre une assiette, des couverts et se prépara correctement le reste de sa gaufre. Il y ajouta quelques fruits rouges ainsi que du sirop d'érable - peut-être un peu en pagaille ?

- Qui a-t-il d'autres au programme de cette journée ?

Ne s'attendant pas vraiment à se rendre au festival, Théo n'avait donc pas réellement pris le temps de s'intéresser au programme de celui-ci, mais Jackson pourrait sans doute éclairer sa lanterne et au pire, peu importe, le plus important finalement était qu'il soit à ses côtés pour profiter de cette journée de liberté.

- Moi je le sais, c'est tout. Marmonna-t-il simplement entre ses dents, presque ronchon à présent.

Difficile à dire si c'était la réponse de Jackson qui l'avait légèrement contrarié où ce que ces propos impliquaient si effectivement, il venait un jour à rencontrer quelqu'un d'autre avec qui il pourrait vivre, mais ce qui était certain en revanche, c'est que cela l'avait peut-être touché bien plus que de raison. À dire vrai, avant que le Whittemore ne lui souffle implicitement cette idée, il n'avait jamais - ô grand jamais - pensé cette éventualité. Dans son esprit, c'était comme s'il avait toujours pensé, voulu vivre chaque jour du reste de sa vie dans cette belle maison victorienne. Pas pour la maison en elle-même, mais pour avoir la chance de pouvoir y passer le restant de ses jours auprès de Jackson. Eh bien que cette idée eût toujours été présente dans son esprit, peut-être depuis le premier jour finalement, il ne l'avait jamais vraiment pensé autant de lucidité qu'aujourd'hui. Alors bien qu'il le voulût au plus profond de lui, cela lui serra tout de même le cœur de faire la lumière sur ce souhait. Et si Jackson, ne désirait pas la même chose que lui ? Paniqua-t-il en silence.

Jackson le tira finalement de sa rêverie lorsqu'il vient attraper une miette de je ne sait quoi sur le coin de sa bouche avant de tout naturellement la porter à la sienne avant d'ajouter qu'il avait de la chance d'être mignon. Sous ce compliment, son cœur se serra à nouveau, celui-ci lui parut différents tout à coup. Était-ce dû à ces pensées précédentes ? Était-ce son imagination qui lui jouait des tours ou espérait-il secrètement - peut-être - que Jackson, son ami de toujours, puisse l'envisager autrement que comme un ami à qui il avait porté secours plus d'une fois dans sa vie ? Et lui, était réellement en train de se poser toutes ses questions ? Était-il lui aussi, en cet instant même, en train de l'envisager autrement que comme un ami tout en espérant que ce soit réciproque afin de ne pas se sentir idiot si tel n'était pas le cas ?

Puis, une nouvelle fois, le Whittemore le ramena doucement à la réalité lorsqu'il lui expliqua que "picoler" était la principale activité qu'il avait retenue en priorité, mais qu'il y en avait encore plein d'autre au programme de la journée et que peut lui importait. En réalité, il ferait tout ce que lui, Théo, aurait envie de faire. Il conclut ses quelques mots en lui mettant gentiment le prospectus du festival sous le nez.

- Eh bien, ils n'ont pas lésiné sur la programmation cette année. Dit-il en parcourant rapidement le prospectus.- On pourrait peut-être commencer par faire un tour au marché, boire quelques verres aux buvettes installées là. Et ce soir, je t'invite au restaurant, je te dois bien ça. S'empressa-t-il d'ajouter dans l'espoir de faire passer cette information "mine de rien" avant d'enchaîner : et pour ce qui est des trous dans l'emploi du temps de la journée, j'suis certain qu'on arrivera à combler tout ça une fois sur place.

Il s'arrêta ensuite de parler, guettant la moindre réaction de la part de Jackson tout en buvant une gorgée de son café encore fumant.

Les seuls moments où Théo avait pu prétendre à un peu de stabilité dans sa triste vie avaient été tous ceux passés auprès de Jackson. Et depuis qu'il lui avait fait une place dans sa vie, sous son propre toit, mais aussi dans son cœur - et cela sans même que Théo ne s'en aperçoive - il n'avait jamais plus souffert. Ni du silence, ni de l'indifférence. Ni de la violence dont son père pouvait parfois faire preuve à son égard - notamment lorsqu'il avait le désagréable sentiment que les vacances d'été se faisait beaucoup trop longue et qu'indéniablement, la présence du garçon finissait toujours par l'insupporter. Mais pour Théo, aussi, ces vacances étaient un supplice. Il n'espérait qu'une chose à fois : que la rentrée se fasse vite, qu'il puisse quitter le manoir des Selwyn et retrouver Jackson - son seul ami.

- Un rencard ? Reprit-il en s'étouffant presque avec son café, laissant même échapper quelques gouttes du liquide de sa bouche dans un postillon vraiment maladroit et incontrôlable.

L'idée même d'un rencard ne le dérangeait pas en soi, mais il n'en avait jamais eu auparavant. Alors la simple évocation de celui-ci l'avait un tant soit peu mi mal à l'aise. Pourtant, l'idée même que Jackson puisse l'envisager ainsi le rassura presque au même titre que cela l'effraya un peu. Qu'était-il censé lui répondre ? Que oui, peut-être qu'ils pouvaient effectivement tenter le coup et voir ou cela les mènerait ensuite ? Ou alors, se dégonfler. Ne pas assumer la moindre de ses pensées, le moindre de ses ressentis, oublier son palpitant qui tambouriner si fort dans sa poitrine et prétendre que cette déduction était tout bonnement erroné ? Essuyant les contours de sa bouche et les taches de café qu'il avait éparpillé un peu partout autour de son assiette en postillonnant, Théo choisi finalement de couper la poire en deux en répondant un "hasardement" : Va savoir.

Théo se hâta ensuite de finir son somptueux petit déjeuné tout en prenant garde de se laisser un peu de place pour les grignotages éventuels de la journée - sans oublier ce fameux resto qu'il avait promis à Jackson.

- Et si on y allait ? Questionna-t-il en balançant son regard vers la cheminée. Toi d'abord ou nous y allons ensemble ? Ajouta-t-il en cherchant la poudre de cheminette, là encore "mine de rien".

Il y avait pas mal de chose qui trottait dans l'esprit de Théo en cet instant. Les souvenirs mêlés à divers sentiments. L'incertitude et le doute face à certaines impressions. Des impressions liées à des sentiments qui ne mentaient pas et pourtant, il osait à peine les regarder en face, de peur... Ou là encore, d'incertitude ? Peut-être que l'un n'allait pas sans l'autre après tout ? Peut-être qu'il y aurait encore beaucoup de peut-être avant qu'il ne daigne s'avouer que sa vie sans Jackson ne serait jamais plus la même parce qu'il ne l'avait jamais imaginé sans lui. Parce qu'il l'avait changé en quelque chose de plus beau. Difficile dans ce cas d'imaginer un seul instant vivre sans celui qui vous avait rendu l'existence plus douce.

Théo sourit, amusé, à la remarque de Jackson tandis qu'il posa enfin la main sur la poudre de cheminette.

- Moque-toi, c'est ça. Dit il en affichant une moue faussement indignée.

Puis il tressaillit doucement sous le contact tendre de Jackson sur sa hanche. Ce dernier le ramena légèrement à lui avant de lui conduire tous les deux au creux de la cheminée. Une fois-là, il ne le lâcha pas et Théo ne broncha point non plus. Croisant brièvement son regard, il détourna aussitôt les yeux de peur que la lueur qui y scintilla le trahisse. Gardant néanmoins son sourire espiègle, il plongea la main dans le sac de poudre, en prit une bonne poignet avant de prononcer le nom du lieu qu'ils souhaitaient rejoindre. Laissant alors la poudre lui filer entre les doigts, ils ne tardèrent pas à être emportés par un tourbillon de flamme aussi verte et pur que l'éclat d'un joyau. Et c'est ainsi, qu'en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, ils avaient rejoint les festivités de l'été.