Le nez penché sur mon espace de travail, je donnais clairement l’impression d’être parfaitement concentré mais la vérité était tout autre. Non, la vérité c’était que mon esprit ces dernières minutes était très fortement occupé par cet élève qui était entré dans la pièce il y a quelques minutes seulement. Cet élève a qui je devais beaucoup malgré le fait que je ne lui avais encore jamais adressé la parole depuis mon arrivée dans cet endroit. Le fait est que je savais qui il était parce que je l’avais reconnu depuis le premier jour mais lui ignorais tout de moi et à juste titre puisque pour lui, je ne faisais tout simplement pas parti de sa vie.

Il y avait cette curiosité qui me poussait vers lui, mais chaque fois que je faisais un pas pour lui parler, j’en faisais aussitôt deux en arrière parce que ma raison reprenait le dessus. Je le savais pourtant qu’il m’était interdit de lui dire qui j’étais. Certes, il ne m’était pas permis de lui dire qui j’étais vraiment, mais en même temps, est-ce que j’irais jusqu’à compromettre ma propre existence. Non, je n’étais pas aussi stupide.

Alors au lieu de cela, je l’observais de loin, en toute discrétion parce que l’aborder pour lui parler, même d’une chose totalement anodine, serait pour moi un véritable supplice. J’avais trop de respect et d’amour pour lui pour potentiellement tout gâcher… Certes, j’avais envisagé le fait que l’on pourrait devenir amis mais est-ce que je saurais tenir ma langue ? Rien n’était moins certain. Et puis je connaissais parfaitement bien sa perspicacité pour savoir qu’il pourrait me démasquer rapidement. C’était également pour cela que j’avais développé mon Occlumens depuis mon arrivée. Pour ne pas qu’il puisse entrer dans mon esprit et y voir mes mensonges et mes secrets. Parce que oui, pour lui, je serais obligé d’avoir des mensonges, des secrets, des non-dits… Je n’avais pas le choix si je ne voulais pas qu’il découvre qui j’étais réellement.

Relevant lentement les yeux, je regarde dans sa direction. Le hasard a fait que nous sommes à la même table, chacun devant notre chaudron et nos ingrédients mais à la même table malgré tout. Le fait est que je l’ai plus ou moins pas mal évité ces dernières semaines puisque j’ai senti son regard sur moi, comme s’il essayait de me cerner. Je ne l’embête pas, il ne m’embête pas mais je constate et je me rends bien compte que nous nous jaugeons l’un l’autre. Je tente de me reconcentrer en me vidant l’esprit mais l’ingrédient suivant qu’il me manque est de son côté de la table. Je me permets alors me de me racler la gorge et de lui demander poliment :

« Est-ce que tu peux me passer les orties séchées s’il te plaît ? »

Il est étrange comme parfois les rencontres et les connaissances peuvent changer à tout jamais notre existence. Je n’aurais pas pensé un seul instant que me retrouver aux côtés du jeune homme qui deviendrait plus tard mon père, me rendrait autant nerveux et aussi peu confiance en moi-même. Si j’avais cette tendance à me renfermer depuis quelques mois, le fait d’être chez les Gryffondor, m’obligeait néanmoins à me montrer plus avenant même si pour l’instant, c'était un échec cuisant. Je n’arrivais pas encore totalement à faire face à tous ces changements dans ma vie et encore moins à me rendre à l’évidence que mes parents étaient aussi jeunes que moi dans cette temporalité.

Parce que je savais que me laisser déstabiliser par mes pensées pourrait l’intriguer encore plus et le faire être méfiant envers ma personne, je me reconcentrais sur ma potion en cours de préparation jusqu’à me rendre compte qu’il me manquait un ingrédient. C’était assez courant lorsque je préparais des potions avec mon père que j’omette un ingrédient et prendre conscience que cela se produit également lorsque je suis en présence de sa version rajeunie pourrait me faire rire si cela ne me mettait pas légèrement mal à l’aise.

Fort heureusement, il accepta et poussa le bol dans ma direction dans lequel je me servis tout en lui répondant :

« Merci. C’est gentil. »

J’ajoute les quelques orties séchées à ma préparation qui bouillonne et alors que je remue la potion, il reprend la parole et me fait aussitôt relever les yeux vers lui de surprise. Comment peut-il me balancer de but en blanc son identité véritable, et cela, même si je la connais, ce n’est pas la question. C’est totalement imprudent et non autorisé de dire son vrai nom… Je le regarde dans le blanc des yeux et reste bouche bée durant plusieurs secondes avant de comprendre qu’il souhaite avant tout savoir pourquoi je l’observe. Réponse que je ne peux pas lui apporter… À la place, je déglutis avec difficulté avant de choisir mes mots avec soin et de lui répondre en murmurant :

« Tu ne devrais pas donner ta vraie identité à tout-va. Ce n’est clairement pas prudent Arsénius. Mais… je sais qui tu es. »

Voilà une première entrée en matière qui n’augure rien de bon pour moi. Pourquoi est-ce que je lui dis que je le connais ? Il va évidemment vouloir savoir qui je suis et d’où je le connais et je ne pourrais pas lui répondre. C’est avec un air désolé sur le visage et un sourire léger et fugace que je m’avance encore un peu dans mes explications sans queue ni tête teintées d’une supplique désemparée :

« Si je te dis que je te connais, mais tu n’as pas à savoir qui je suis… et que je n’ai rien contre ta personne, est-ce que tu pourrais ne pas chercher à en savoir davantage ? »

Cet homme me fait perdre tous mes moyens puisque la seule chose à laquelle je pense, c'est qu’il est mon père aimant et délicat et que je n’ai qu’une envie, qui est de me blottir dans ses bras pour me sentir en sécurité à nouveau.